73
Je réservais pour un ouvrage à venir l’analyse d’un passage du livre de l’Exode (II, 14-16), où l’on voit le nom divin passer de la première personne à la troisième. Le sujet absolu – qui nomme tout mais ne peut être nommé – en l’espace de quelques lignes reçoit un nom et devient objet. Je voyais là le symptôme d’une tendance maladive à tout objectiver, que je croyais propre au genre humain. Seuls les artistes me paraissaient échapper à ce mal, eux qui paradoxalement ont pour métier de transformer en objets leurs idées et leurs sentiments — paradoxe apparent seulement, car les objets qu’ils produisent ne sont en définitive que des mimiques chargées de susciter chez ceux qui les contemplent des sentiments semblables à ceux qui les ont fait naître. L’objet devient ainsi une extension de leur subjectivité. Je me rends compte à présent que ce mal, si c’est un mal, ne touche que l’Occident et qu’il est quasi inconnu en Chine. Comme si les Chinois étaient tous artistes ou, du moins, comme si leur culture les entraînait dès la naissance à développer des traits de caractère qui, chez nous, ne trouvent leur plein épanouissement que dans les métiers artistiques.
| |||||
Introduction · Table · Résumé · Estampes · Paragraphes · Texte brut · Notes | Accueil · Sommaire · Téléchargement · Liens | Impressum | |||||