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Le poète Tao Yuanming (365-427) possédait un qin sans cordes dont il ne se séparait jamais. Il n’en jouait pas, évidemment, et se contentait de le regarder en silence: «Je me satisfais de la saveur que ce qin porte en lui, pourquoi m’escrimer sur le son des cordes?» Un poème de Bai Juyi exprime la même conception d’une musique intérieure qui n’a plus besoin des sons. Je le cite dans la traduction libre qu’en donne Claude Roy dans Le voleur de poèmes: «Mon luth repose sur la table / Je flotte au courant de mes songes / A quoi bon égrener un air / Le vent en effleurant les cordes / Saura chanter ce que je tais.» Lorsque John Cage, en 1952, propose à ses auditeurs «4’33”» de silence, il ne peut se libérer de la pensée objective occidentale: son silence reste l’œuvre d’un compositeur — et il la signe. Il n’a rien de commun avec la jouissance sans nom des poètes chinois.
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