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Durant l’été 1975, le château d’Annecy présentait au public une rétrospective de l’œuvre du graveur et cinéaste d’animation Alexandre Alexeieff. L’exposition était ponctuée de citations de l’artiste et, au moment de ma visite, il les déclamait lui-même à haute voix à la demande de journalistes d’une chaîne de télévision. L’une de ces phrases disait en substance — je cite de mémoire — «Dans la nature il n’y a pas de lignes, il n’y a que des ombres et des lumières». J’avais envie de lui répondre que dans la nature il n’y avait pas de mots, non plus, et que pour être plus naturel encore il aurait mieux fait de se taire. Mais j’admirais son travail et je n’avais aucune raison de lui manifester tant d’agressivité. Il condamnait, sans s’en apercevoir, toute la peinture chinoise, qui est une exaltation de la ligne et du geste, et plus encore la calligraphie qui, au geste, joint la parole. La nature dont il se réclamait ne comprenait pas la nature humaine. Ses propos exprimaient parfaitement la vision occidentale d’une humanité qui aurait sa place dans la nature comme des comédiens au milieu d’un décor — à l’opposé de la vision chinoise d’une nature à laquelle rien de ce qui est humain ne saurait être étranger.
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