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Ce n’est pas la Liberté qui conduisait le peuple sur les barricades comme se plaisait à l’imaginer la peinture romantique, c’est l’injustice qui l’y acculait. Le mythe de la liberté est l’ultime raffinement de la tyrannie. Quand la récompense promise pour l’au-delà ne fut plus en mesure de contenir le mécontentement des opprimés, on leur proposa une nouvelle divinité. Elle eut ses apôtres, ses héros et même ses martyrs: des hommes et des femmes qui, dit-on, n’avaient pas hésité à donner leur vie pour elle. En réalité, c’est à la justice que ces sacrifices étaient destinés, c’est elle qui devait incarner aux yeux de tous les humains l’espoir d’une vie meilleure. Mais ceux qui détiennent le pouvoir l’exercent aussi sur les mots. Soucieux de préserver les privilèges dont ils jouissaient et ne pouvant s’opposer ouvertement à l’idée de justice, ils s’appliquèrent à détourner les prières de la multitude vers une idole moins compatissante qui saurait, le moment venu, servir au mieux leurs intérêts. S’ils avaient tout à craindre d’une société plus juste, ils avaient en revanche tout à gagner à ce que le monde fût plus libre. À la justice ils confièrent un ministère, qui eut la charge de protéger leur propriété privée, et à tous ils donnèrent la Liberté: une statue creuse que chacun remplit de ses rêves de conquête, de richesse et de domination.
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